Les liens historiques entre la Bretagne et les États-Unis sont toujours forts, notamment grâce à une forte émigration depuis le centre de la Bretagne. Pour mieux comprendre ce que ces immigrants ont vécu en arrivant en Amérique, nous partageons cet extrait du bulletin « PENN-AR-BED » de 1953. SUR LA PISTE DES EMIGRANTS BRETONS EN AMERIQUEA la fin du XIXe siècle, ils ont débuté comme ouvriers agricoles ou comme jardiniers dans les riches propriétés des environs de Lenox dans le Massachusetts, puis, à l'exemple des Bretons de chez nous, ils sont allés se fondre dans le prolétariat des grandes villes américaines, particulièrement à New-York et dans sa banlieue. Curieuse destinée que celle de ces paysans des Montagnes Noires, jetés hors de leur aire natale par la nécessité et la force de leur vitalité, et qui luttent de .toute leur énergie dans les ·hôtels ou les usines de la première ville du monde. Avec un ancien des grands hôtels de New-York On peut dire que 3 Bretons sur 4 travaillent dans les hôtels de New-York, les uns comme garçons de salle, aides-cuisiniers, cuisiniers ou sous-chefs dans les plus beaux établissements, les autres comme serveurs ou garçons dans les restaurants de deuxième ordre ou dans les cafés. A l'origine de cette spécialisation inattendue des paysans des Montagnes Noires, nous trouvons M Louis Sanséau, qui fut secrétaire de mairie à Leuhan pendant plus de 25 ans, et ses frères qui émigrèrent aux U.S.A. en 1902, 1903, 1906 et 1907. En termes imagés et avec force détails, il nous a retracé ses pérégrinations du Waldorf Astoria où descendent les magnats de l'industrie, les rois détrônés et les vedettes de Hollywood, au Belle-Vue Stradford de Philadelphie où il servit le Président Wilson, alors président de l'Université de Princetown (New-Jersey). En 1921, au Piazza de Boston, il faisait~partie de la «brigade» des Anciens Combattants français qui servirent le «Lunch» de 2.000 couverts lors de la tournée triomphale du général Foch aux Etats-Unis. Il ne tarit pas d'éloges sur «Le Touraine», de Boston, hôtel construit dans le style du Château de Blois et meublé avec le plus grand luxe : porcelaine de Limoge, verrerie de Saxe et de Baccarat, argenterie d'Angleterre, tapisserie d'Aubusson, etc. Dans l'immense parc attenant à l'hôtel, voisinent les voitures des riches clients et celles des garçons et des cuisiniers. M. Sanséau fit aussi partie de la brigade de garçons français qui «monta» à Ottawa, en 1912, pour l'ouverture du «Château-Laurier». Actuellement, chaque grand hôtel de New-York possède, à côté des Allemands, des Italiens, des Grecs et des Porto-Ricains, son noyau de Bretons. - Au Waldorf-Astoria, c'est un Scaërois qui règne sur une armée de garçons et de «boss-boys». Ces Scaërois forment une bande joyeuse qui, durant la morte saison de l'été, émigre en Floride. Au Piazza, une autre équipe s'est formée autour de Germain Derrien, de Pleyben, et de Hervé Boulard, de Leuhan. Le sous-chef cuisinier du Statler (l'ancien Pennsylvania, près de la gare du même nom), c'est Gaby Cosquer, l'ancien adjoint au maire de Leuhan et qui, tout naturellement, embauche de préférence ses «pays». Comment naît une vocation de cuisinier L'histoire de notre camarade d'enfance, M. Alain Collorec, de Coray, le président dé l'Association des Bretons de New-York, nous semble tout à fait caractéristique à ce sujet. A. Collorec aurait pu continuer ses études, mais sa mère n'avait pas les ressources suffisantes pour payer des frais de pension pour ses deux garçons. Au sortir de l'école, il entra comme commis chez le percepteur, vers 1920. Lors de son récent séjour en Bretagne, nous lui avons demandé comment l'idée lui était venue de partir en Amérique. - Je lisais avec beaucoup d'intérét les lettres d'Amérique des camarades de Pen-Pavé, pas beaucoup plus âgés que moi et qui gagnaient, vers 1921-22, 1.000 à 1.500 francs par mois. C'était fabuleux... La présence. de mon oncle, Henri Collorec, à Lenox, dans l'Etat du Massachusetts, allait faciliter la réalisation de mon rêve. Je partis donc en 1924, à l'age de 17 ans. Je ne pensais pas partir pour si longtemps. » (M. Alain Collorec a maintenant 46 ans et ·est devenu citoyen américain.) - Mme Collorec (née Marie Bénéat) est originaire de Gourin. Comme nous lui demandons ce qui l'a décidée à tenter sa chance aux U.S.A., elle nous répond spontanément, avec un léger accent new-yorkais : « Well ! ce n'est pas compliqué. Depuis ma plus tendre enfance j'ai tou- jours entendu parler de l'Amérique et, avec le recul, cela m'apparaît comme une belle histoire. SI mon mari a été tenté par ses lectures, moi je n'ai eu qu'à prêter l'oreille aux récits de mon père et de mon grand- père. Mon grand-père, Louis Bénéat, travaillait à New-York dès "1889, à une époque où il n'y avait que fort peu de Bretons aux: E. U. Il y travailla 10 ans d'arrache-pied puis décida de rentrer à Roudouallec, en 1899. Ménager de ses dollars (on n'en avait pas autant qu'aujourd'hui), il rentra par le Pacifique, via le Japon, la Chine et l'Inde, à bord d'un cargo transportant des chevaux. Le voyage dura trois mois, mais le voisinage des chevaux n'était pas pour déplaire à ce paysan morbihannais qui, ayant satisfait son goût des voyages et des aventures, rentrait. sage- ment au pays pour acheter une petite ferme. En 1901, c'était au tour de mon père, et, 20 ans plus tard, je prenais pied à New-York.» A l'hôtel Astor au cœur de New-York C'est à Lenox, où existe toujours une colonie bretonne prospère, que notre ami A. Collorec fit ses débuts, d'abord comme tondeur de pelouse, puis comme aide-jardinier. Après avoir travaillé pendant quelques mois à la papeterie, il décidait d'aller tenter sa chance dans les grands hôtels de New-York. Il fit ses premières armes comme «légumier», et, trois jours plus tard, il était remercié : ses légumes n'étaient pas assez bien épluchés! Heureusement, au « Vatel-Club », il trouva un Breton compatissant qui le fit entrer comme apprenti boucher à l'hôtel Astor, l'un des plus fréquenté de New-York. Enfin il avait trouvé sa voie, notre ancien commis de perception troqua son porte-plume contre le couperet et la scie du boucrer. La dure condition de nos émigrés Si le travail est très pénible pour les cuisiniers, les garçons de salle ou les garçons de café, il ne l'est pas moins dans les ateliers ou les usines américaines, car on exige partout le meilleur rendement. La journée de travail est de 8 heures, mais les Bretons, comme la plupart des émigrants, font des heures supplémentaires. Sauf dans les hôtels où les cuisiniers et les garçons sont « nourris sur le tas », les Bretons, comme d'ailleurs beaucoup d'Américains, emportent un repas froid qu'ils mangent en une demi-heure, sur le lieu même du travail. Des cantines fonctionnent également, et pour un dollar on y mange un bon repas Arrivé à un certain âge, on a du mal à supporter le rythme rapide du travail en usine. (Beaucoup d'usines refusent d'embaucher des ouvriers âgés de plus de 40 ans.) En été, malgré une ventilation énergique, la chaleur est étouffante dans les cuisines de New-York. On change de veste plusieurs fois par jour et on se rafraîchit à grands verres de bière ou d'eau glacée. C'est ce qui explique, la bonne nourriture aidant, que nos cuisiniers bretons reviennent au pays nantis d'un léger embonpoint. Standing de vie très élevé Mais si le travail est très dur en Amerique, les salaires sont très élevés et le standing de vie de nos émigrés est nettement supérieur à celui de l'ouvrier français. Les bilans de 1952 signalent une situation économique excellente et des perspectives encore meilleures pour 1953 et 1954. .En 1952 la prospérité a frappé à toutes les portes et les salaires ont atteint des chiffres records. Le revenu individuel net, une fois les dépenses essentielles de nourriture, de logement et d'habillement satisfaites, est cinq fois plus élevé qu'en 1940. · ·Le· gain moyen des travailleurs d'usine se monte à 70 dollars par semaine de 40 heures, ce qui représente environ 100.000 francs p'ar mois. La plupart de nos émigrés travaillant comme cuisiniers ou comme garçons de salle dépassent nettement ce salaire moyen. Les cuisiniers ordinaires (légumiers, sauciers, rôtisseurs, etc.) gagnent de 75 à 100 dollars par semaine de 6 jours de travail, soit de 105 à 140.000 francs par mois. Certains, comme beaucoup de garçons de salle, dépassent les 500 dollars par mois. Comme, en outre, ils sont nourris, ils jouissent d'une situation supérieure à celle de leurs compatriotes travaillant en usine. Un ménage employé dans une maison bourgeoise (la femme comme bonne, le mari comme jardinier, valet de chambre ou chauffeur) gagne de 300 à 350 dollars par mois, sans compter la nourriture et le logement. Chez Coty, une employée se fait 44 dollars par semaine, soit environ 80.000 francs par mois. Des ouvrières spécialisées (coiffure, couture, etc.) ont des salaires équivalents à ceux de · leurs maris. On cite le cas d'un Leuhannais, ouvrier spécialiste dans l'industrie automobile à Détroit, dont le salâire atteint 600 dollars par mois (210.000 francs). Par contre, un professeur français à New-York ne gagne que 450 dollars (167.500). Comme il est seul à. gagner et qu'il paie 1m loyer très élevé, il jouit d'un standing de vie inférieur à celui de nos émigrés. · '\ Les salaires que nous venons d'énumérer sont les salaires bruts : les impôts et les différentes retenues pour la sécurité sociale s'élevant de 17 à 20% pour les salaires inférieurs à 5.000 dollars par an (1.750.000 francs). Au-dessus de 5.000 dollars le taux est beaucoup plus élevé. Pour le loyer il faut compter environ 1/8 du salaire : 40 à 50 dollars par mois (14 à 18.000 francs) pour un logement très confortable. On peut considérer qu'un ouvrier américain peut facilement s'habiller des pieds à la tête avec le salaire d'une semaine. En ·France, le salaire mensuel d'un ouvrier n'y suffit pas. C'est ce qui permet de dire que le salaire de nos émigrés représente environ 4 fois celui de l'oùvrier français. Comme la vie à. New-York est sensiblement moins chère qu'à Paris (sauf pour le logement), le standing de vie en Amérique est infiniment supérieur au nôtre. C'est la raison principale de la permanence du courant d'émigration bretonne vers les Etats Unis. Plus de confort Sous le rapport du logement, les Bretons d'Amérique sont certainement privilégiés, car ils jouissent de tout le confort désirable. C'est d'ailleurs une nécessité dans un pays oû l'hiver est très rude. Eh règle générale, l'appartement comporte quatre pièces, cuisine, sallé à manger, living-room, chambre à coucher et salle de bain. Comme on dispose de toutes les commodités, depuis l'aspirateur, la machine à laver, le frigidaire, jusqu'à la cocotte minute, le travail de la ménagère est réduit au minimum. Il le faut bien d'ailleurs, car si le mari est à l'hôtel ou à l'usine, la femme travaille de son côté et, bien sûr, la vie de famille en souffre. Il arrive même que la femme travaille de jour et le mari de nuit. Mais, au départ, nos Bretons d'Amérique ont accepté tous les sacrifices : ils savent que ces années d'exil seront très penibles. Une fois rentré au pays, on aura tout le temps de se reposer. L'automobile n'est pas un luxe comme en France. Comme nous le disait récemment un de nos anciens éléves, qui a acheté une Dodge d'occasion un an après son arrivée à Paterson (350.000 francs pour une voiture n'ayant _roulé que 20.000 km), une voiture est presque indispensable, ne serait-ce que pour transporter ses outils et se rendre à des chantiers souvent éloignés. «En 3 heures de travail je gagne l'essence de la semaine, y compris le« week-end » à la campagne.» A New-York, une voiture s'impose beau- coup.moins et les frais de garage sont très élevés. Une erreur de stationnement se paie 15 à 20 dollars ! C'est maintenant une tradition solidement établie : après un premier séjour de 4 ou 5 ans, on vient passer des vacances au pays, nanti d'une grosse Plymouth ou d'une Dodge, à moins que, plus ménager de ses dollars, on ne fasse l'acquisition d'une 11 CV Citroën ou d'une 4 CV qu'on revendra avant de reprendre le bateau pour New-York. Leurs occupations On peut dire que les 3/4 de nos compatriotes de New-York travaillent dans les hôtels et les cafés et s'y font de très bonnes situations. · Des artisans et des ouvriers travaillent aussi dans les usines et quelques-uns trouvent à s'embaucher à l'hôpital français de New-York. La plupart des femmes sont employées dans les maisons bourgeoises. Les couturières trouvent des débouchés intéressants dans les grandes maisons de confection et de modes ou l'habileté traditionnelle des Françaises est reconnue. Les coiffeurs français pour dames sont également très demandés à New-York. Leur prestige est tel que beaucoup de coiffeurs étrangers prennent des noms français pour attirer une plus large clientèle. Enfin, le commerce de luxe (les parfums Coty, la soierie, la joaillerie) offre à nos jeunes Bretonnes des emplois lucratifs. Les restaurants bretons de New-York Beaucoup de nos compatriotes qui débutent jeunes dans les grands hôtels ne tardent pas à acheter des cafés ou des restaurants qui, grâce au prestige de nos vins et de la cuisine française, attîrent une nombreuse clientèle de Français et d'Américains. Citons au hasard : « Le Fontainebleau » qui est le siège de l'Association des Bretons de New-York, dans la 52e rue. Les propriétaires, M. et Mme Jean Bodénés, de Gouézec, possèdent un second restaurant, « Le Cheval Blanc » qui se trouve dans la 45e rue. « Le Frank Moal », 50e rue, sert les meilleurs vins français. « Le Brittany », 53e rue, est tenu par M. Yves Sévénéant, de Langonnet. « Le Paris-Brest », 9e avenue (propriétaire, Mme Vetel, de Gourin). « Le Champagne » (propriétaire, Mme Thérèse Donnard, de Gourin). « Le Berry », 51e rue (propriétaires, M. et Mme Merle, née Joséphine Loubard, de Leuhan). « Le Café de Paris », tenu par Mme Philomène Le Douzen, de Pleyben, 46e rue, fréquenté par les vedettes du cinéma et du théâtre. « La Fleur de Lis », 69e rue, près de Broadway (propriétaire M. Alexis Gallon, orig;naire du Sud-:Finistère. On y dîne «dans une atmosphère française ». « L'Armorique » 54e rue où les serveuses sont habillées en Bretonnes. A cette liste déjà longue, il convient d'ajouter quelques autres restaurants, situés «à la campagne·», comme disent les Américains et où nos Bretons vont volontiers passer le« week-end » ou leurs congés annuels. - Il y a « Le Central Valley Inn » dont le propriétaire, M. Jean Le Floch, est originaire du Samt, près de Gourin. Nos Bretons y font une cure de repos dans l'endroit le plus délicieux du Comté d'Orange, .en se livrant aux plaisirs de la pêche, de la chasse ou de la natation. - Il y a « Cascade Farm »; à Long Valley, dans le New-Jersey,-qui appartient à M. Pierre Ménage, de Saint-Malo. · - Il y a aussi « Silver Spring Farm », « la Ferme de la Source d'Argent » dont les propriétaires, M. et Mme Henri Diage, sont originaires de Langonnet, important foyer d'émigration du canton de Pontivy. Tous ces Bretons, propriétaires de restaurants ou de cafés ont débuté comme garçons ou cuisiniers dans les grands hôtels de New-York. Ils sont maintenant citoyens américains et ne reviendront plus en France. GRÉGOIRE LE CLECH - Articles déjà parus dans « PENN-AR-BED » en 1953 ⭐️ Acheter le t-shirt officiel ⭐️
5 Comments
JACQUES DESPRETZ
12/5/2020 09:38:49 am
GOURINOIS ARRIVEE A N-Y JANVIER 1958 ,ENGAGE USARMEE 3ANS USA &KOREA, BARMAN L'ESCARGOT , PROPRIETAIRE DU REST. LE BEC FIN EAST 58ST 1972. PUIS LES MAREYEURS PREMIER REST. DE POISSON A NY 3STARS N.YTIMES1975 .PRESIDENT DU STADE BRETON 1975 -1979 SUITE DU A LA RETRAITE DE JEAN PENGLOAN FONDATEUR DU CLUB 1955 -75. RETIRE 1962 A NY.
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JACQUES DESPRETZ
12/9/2020 12:06:43 pm
BREIZH AMERICA GREAT, IF YOU WANT TOKNOW MORE ABOUT BRETONS OF N-Y LET ME KNOW.
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2/25/2021 04:21:50 am
Bonjour,
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Poupon Thierry
3/19/2022 01:01:34 pm
Bonjour,
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Lozac’h
9/4/2024 09:25:37 am
Bonjour, j’ai appris il y’a quelques années seulement que mon grand père Armand Lozac’h avait passé 22 ans à New York. Je n’ai jamais rien su de lui et il est mort presque 20 ans avant ma naissance. Je sais juste qu’il travaillait comme saucier ds un grand hôtel et qu’il habitait 49 west street et avait 2 locataires : Louis et Charles poupon, d’une vingtaine d’années
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